mardi 19 mai 2009

Rien n'aura eu lieu que le signe (O. Renault)

La peinture de Henri Yéru relève du plexus : masse puissante et concentrée de pulsions, simultanément dure et hyper-sensible, réseau central nerveux irradiant l’ensemble, c'est-à-dire l’espace et le sujet devant les peintures.
Ces peintures, les voir, c’est les sentir : peu de toiles donnent comme celles-ci cet effet de choc, de direct au plexus, - le nôtre cette fois -. L’émotion, alors devient ce passage tracé d’un plexus à l’autre.
D’abord, la densité de ce noir frappe : cœur résolu de la nuit, noir sur noir, se redoublant en lui-même : comme Shakespeare et le Dead of Night, le plus mort de la nuit, qui atteint ici sa pulsation intense, vitale. Oui, l’espace peut se retourner sur lui-même pour faire advenir un hors-temps singulier : ce temps de l’émotion la plus claire au cœur de l’encre. Car le blanc naît du noir, de cette base compacte, comme des mots que l’on pèserait pour leur donner du ressort. « Connais le blanc/adhère au noir » enseigne Lao Tseu. Inversement, on peut soutenir que l’émergence du blanc, de la clarté, ne se peut que par la connaissance du noir.[...]

ACTEMPS

Parmi les jeux de mots, la série des ACTEMPS : il s’agit de prendre acte du Temps, et de faire de ce temps un Acte. Cela se jouant sur une autre référence, sonore, celle de l’actant (terme désignant un personnage ou un élément en tant qu’agent d’action). La peinture comme « personnage » ou « agent » actif de l’opération qui consiste à prendre acte du temps, ou de cet étrange hors-temps surgissant de l’acte de peindre. Ce qui s’y joue ne ressort certes pas d’un temps linéaire, chronologique, mais d’un temps d’exception, une trouée du temps. Hors-temps signé. Du coup, comme pour la série des LIBE, on voit donc surgir un autre rapport au temps, initié par un traitement particulier de l’espace et de ses signes. [...]

PENSEE DU LIEU

Abstraite, cette peinture ? C’est le concret même. Plus exactement : la Pensée dans ce qu’elle a de plus matériel, en ce qu’elle relève du corps, du choc physique.
Une forme de concrétion nerveuse de Pensée : « Et il y a un point phosphoreux où toute la réalité se retrouve, mais changée, métamorphosée, - et par quoi ? - un point de magique utilisation des choses. Et je crois aux aérolithes mentaux, à des cosmogonies individuelles » (Artaud). Une Pensée qui défie le Temps : « cette possibilité de penser en arrière et d’invectiver tout à coup sa Pensée » (Artaud).
L’enfance, le passé, ne reviennent jamais. Seule la mémoire est un passé actif, travaillé au présent. Le geste de Yéru ne vise pas à retrouver quelque paradis perdu, mais à prendre acte de ce temps, à en tracer l’archée, ce « feu central » qui nous fait signe afin qu’on le sente, qu’on le lise, ici et maintenant.


Olivier Renault

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